Elle n'avait jamais mis les pieds ici. Jamais dans un cimetière, jamais. Pimprenelle ne croyait pas au catholicisme. Elle doutait que ses parents se soient endormis dans l’espérance de la résurrection, ils croyaient à un être suprême mais certainement pas à Dieu. Satan, oui, très certainement. Mais, là n'était pas la question. Elle avait juste franchi ce que l'on appellerait comme étant les portes d'un sanctuaire sorcier et sacré pour la première fois de sa vie, et avec des mois de retard. Des mois, des mois qu'elle leur en voulait, des mois qu'elle aurait voulu les avoir en face pour leur demander pourquoi. Pourquoi avaient-ils préféré la garder dans l'ignorance de qui elle était toute sa vie ? Elle aurait voulu demander à sa mère si Viola avait vraiment été incapable de s'occuper d'elle, ou si simplement elle ne lui avait laissé aucune chance. Elle était restée un moment, muette devant les grilles du Père Lachaise, refusant de faire un pas de plus. De longues minutes, un bouquet de roses noires dans les mains. Elle aurait pu s'habiller de noir, porter un deuil qu'elle refusait depuis des mois. Mais non, elle défiait les conventions. Une chemise blanche, un col lavallière qu'elle affectionnait tant, mal noué, rien que pour faire se retourner sa mère dans sa tombe. Une jupe bordeaux et une paire de richelieu noire. Une tenue classique pour Mademoiselle Deveraux - du grand classique.  Finalement, ses pas la guide evrs une tombe. Muette, elle la fixe en silence. Dépourvue de l'émotion qu'on lui avait juré qu'elle ressentirait. Il y avait quelque chose d'éteint chez elle, quelque chose qui dépérissait à vu d’œil pour quiconque avait la prétention de la connaitre.

Qu'était sensé ressentir à cet instant ? De la tristesse sans l'ombre d'une doute, un manque pour celle qui avait perdu les gens qui l'avaient élevé avec un amour qui avaient été le leur complexe et peu commun, de la colère parce qu'ils l'avaient élevé dans le mensonge. Elle aurait dû ressentir tout cela, mais il n'y avait rien d'autre qu'une indifférence totale qui l'étonnait elle même. De l'extérieur, n'importe qui aurait vu une jeune femme qui se recueillait sur une tombe. Pimprenelle avait passé ce stade de jeune fille à jeune femme, elle n'avait pas pris un seul centimètre en plus, elle avait simplement gagné en assurance. D'un geste mécanique, elle dépose les roses noirs dans un vase vide. La tombe était neuve, payée avec les quelques économies de sa famille. Quelle idée de dépenser des milles et des cents dans la mort, c'était futile. Pimprenelle détestait les futilités. Et celle-ci avait assez duré, elle avait essayé. Mais elle avait échoué - et pour la première fois de sa vie, un échec ne la mettait pas hors d'elle.  Un pas en avant. Un renoncement de plus.  Elle passe un certain temps ici, figée, si bien qu'elle ne se rend pas compte que le ciel du mois de ce juin si chaud pour un début d'été de dix neuf cent vingt huit se couvre dangereusement. Des semaines que Paris souffrait de la chaleur, et qu'aucune goutte de pluie n'avait daigné tomber. Voilà qui bientôt serait chose faite.

La première goutte lui tombe sur son front. Épargnant sa chevelure magique, qui ces derniers temps semblaient plus aptes que la sorcière à accepter qui elle était. Un roux, presque auburn qu'elle empruntait aux de Montmorency, comme son père, et comme sa tante qu'elle avait brièvement croisée. Un roux qu'elle assumait, sans avoir à y penser. Si elle s'énervait un peu, ils fonçaient d'avantage. Elle lève les yeux vers le ciel orageux, et une goutte tombe sur sa joue. Elle grommelle un peu, et sans un regard elle s'éloigne, tentant de transplaner. En vain - les lieux publics sacrés et important étaient comme qui dirait protéger. Eh merde, songe-t-elle. La pluie passe soudainement d'inexistante à torrentielle. Pimprenelle court pour se mettre à l'abri, cherchant dans son sac sans fond sa baguette pour s'en servir comme parapluie. Trempée jusqu'à l'os, elle s'abrite sous le mausolée d'une famille sorcière de France - quelle ironie se dit-elle quand elle observe le nom gravé sur la pierre. Elle ne peut s'empêcher de laisser échapper un petit rire pour elle, désabusé. De Montmorency, quelle ironie. A ce stade, ce n'était plus une tombe, c'était une démonstration de force, un vrai petit bâtiment.  Seule, elle profite de cet instant à l'abris pour chercher sa baguette pour pouvoir sortir sous la pluie plus tranquillement. S'accroupissant  au sol, la voilà qui retourne le contenu de son sac pour chercher son dû. Des crayons, un carnet, des épingles à cheveux, un foulard qui remplaçait le sien perdu, une ou deux fioles, et la baguette.  Quel merdier, songe-t-elle. Heureusement que personne n'était là pour voir ça. Du moins, c'était ce qu'elle s'était dit, jusqu'à ce que des pas hâtés s'approchent d'elle, cherchant sans doute comme elle un abris de la pluie. Une pluie, qui devient un véritable orage.